Proximus dans le texte

3 mars 2008 · Pas de commentaire

Ouvrage prévention spécialiséeLa prévention spécialisée, un projet coopératif: extrait des pages 172 à 176.

UNE BASE DE DONNEES

Cette évolution de la formalisation et de la traçabilité constitue une sorte de rupture. Celle-ci peut être aisément critiquée du fait de son adéquation avec « l’air du temps ». Certaines pratiques se développent avec le risque de négliger le respect d’autrui et de l’objectiver alors que l’enjeu essentiel de la mission consiste à restituer du pouvoir d’être et d’agir à celui qui est accompagné. Constituer une base de données à partir des personnes accompagnées en prévention spécialisée peut donner le sentiment d’amorcer une rationalisation de l’action. On pourrait craindre d’entraîner la mission sur la pente délicate d’une automatisation des analyses, des projets, des réponses et donc de la pensée professionnelle. Il est vrai que tout cadre prédéterminé entraîne une sorte de détermination de la manière de concevoir les choses, et c’est probablement l’inverse qu’il est nécessaire de travailler. Il est impératif de pouvoir réfléchir préalablement à ce que l’on veut collecter comme information, travailler d’abord sur sa propre pensée, pour ensuite construire le cadre qui permet de recueillir les informations recherchées.
Mettre en place un outil informatique dans le cadre de la mission de prévention spécialisée, c’est, contrairement à ce qui est chevillé au respect de l’anonymat, faire courir le risque d’un suivi très individualisé au détriment d’une approche globale et d’un mandat territorial. En effet, l’outil peut alors apparaître comme particulièrement dangereux puisqu’il pourrait être à l’origine d’une transmission d’informations nominatives à des autorités politiques ou policières.
Mais, en toile de fond, l’écriture et la formalisation posent également la question du contrôle de l’action conduite et de son évaluation. Prendre le risque d’écrire, c’est prendre également celui de donner à voir ce que l’on fait, les faiblesses que l’on peut rencontrer, les doutes et, bien entendu, ce que l’on ne fait pas. Mettre en place un système de collecte d’informations de terrain, c’est également instruire une dynamique où, à terme, l’heure des bilans peut signifier la richesse de l’action, sa consistance, mais aussi, dans le cas inverse, sa pauvreté et sa déshérence. Ecrire professionnellement, c’est accepter de ne plus être le seul juge de ce qui est effectué réellement auprès des personnes et de ne plus être la seule référence pour apprécier les transformations opérées dans le cadre du mandat qui nous est confié. C’est pourquoi la mise en place d’un système informatisé pose des questions qui relèvent de l’éthique et de la dimension ontologique. C’est aussi la question stratégique des résistances tout à fait compréhensibles que l’on peut trouver dans n’importe quelle opération de changement organisationnel.
Et pourtant, pouvoir évoquer ce que l’on a fait sur une année, pouvoir témoigner des évolutions des relations sociales sur un territoire, comprendre les porosités des différents groupes de jeunes et instruire de la cohérence dans ce qui est mis en place pour les uns et les autres ne peuvent se faire qu’intuitivement. Il est nécessaire, à un moment donné, qu’une équipe puisse faire le point de ce qu’elle a développé pour mieux apprécier sa propre évolution, les obstacles qu’elle a pu rencontrer, les opportunités qu’elle a pu saisir ou bien manquer, les portes qui sont encore ouvertes et celles qui lui sont interdites. Bref, les équipes éducatives ont besoin d’avoir une appréciation stratégique de leur imprégnation sur le territoire. C’est sans doute tout cela que peut permettre une base de donnée informatique telle que Proximus – outil gratuit dont le développement a été financé par le conseil régional du Val-d’Oise et qui a été développé par les éducateurs de prévention spécialisée. Ce n’est pas le seul outil qui existe à ce jour, mais c’est probablement le plus simple d’utilisation et, de notre point de vue, également le plus pertinent.

UN SOCLE ET UN CORPUS POUR D’AUTRES DOCUMENTS

A côté de l’écriture initiale qui ne concerne que soi-même, Proximus, en tant de base de données, peut réellement favoriser cette constitution d’une mémoire commune, sorte de socle contributif favorisant et provoquant la réflexion. Chacun, dans un collectif de travail, est alors invité à sélectionner ce qu’il a à dire pour mieux prendre sa part dans un édifice commun constitué d’une analyse du territoire et des trajectoires individuelles et collectives mises en place patiemment au fil des semaines, des mois et des années. Ce corpus de terrain est alors la matière qui doit permettre l’élaboration d’autres documents, qu’il s’agisse du rapport d’activité que nous évoquions plus haut, mais aussi d’autres documents intermédiaires dont nous allons dire quelques mots. Préalablement, rappelons que, comme toute forme d’écriture sur autrui, un outil comme Proximus reste symboliquement une page blanche. Cela n’exonère en rien la responsabilité individuelle, la place que chacun doit réserver à autrui dans cet exercice délicat, cet autrui dont il parle et qu’il met en mots. Utiliser une base de données, c’est, comme pour le cahier de liaison que l’on peut laisser sur une table et à propos duquel on peut être interrogé par des jeunes, faire en sorte d’écrire comme si l’on pouvait être lu par celui dont on parle.
L’usage d’une telle base est soumis à une déclaration simplifiée à la CNIL. On sort de la clandestinité et des fichiers personnels qui sont tenus par les professionnels en général et l’on s’engage à une grande rigueur et inscrire complètement son action dans le respect du droit. Cela n’est pas toujours le cas, loin s’en faut, lorsque chacun est renvoyé à sa propre gestion et à son bricolage quotidien pour s’ériger seul responsable de ce qui est conduit. Avec un outil de partage d’informations sur un support informatique, les professionnels s’engagent au respect d’autrui, à celui des différents collègues avec lesquels ils travaillent en sélectionnant les informations et en les fiabilisant. De la même manière, le fait que chacune des équipes puisse informer ses interlocuteurs que l’écriture prend une place singulière dans l’amélioration de la qualité de ce qui est mis en place avec les usagers – pour reprendre le terme de la loi du 2 Janvier 2002 – génère une rigueur collective et individuelle et donc une éthique qui ne devient plus seulement personnelle. Dans cet usage de l’écriture sur autrui, chacun des professionnels s’expose au jugement critique de ses pairs et donc à l’exigence d’un effort continu dans le respect des éléments que nous avons précisés.
A partir d’un matériau commun, il devient possible de réfléchir ensemble, entre les membres d’une même équipe, à l’élaboration des stratégies éducatives. Penser les moyens qui vont être adoptés, imaginer les chemins qui vont être créés et suivis pour arriver à des finalités qui sont explicites entre différents collègues d’une même équipe, c’est véritablement s’inscrire dans une démarche stratégique. A partir du moment où une équipe se donne pour objectif de pouvoir contacter tel groupe, de monter une action avec tel autre, traiter telle thématique avec deux ou trois jeunes bien identifiés parce que les besoins qu’ils manifestent sont bien repérés, il s’agit d’une démarche conceptualisée et partagée.

DES FICHES ACTION

C’est à ce stade que les fiches action deviennent des outils intéressants et censés baliser des étapes très concrètes qui sont autant de montages de projets. Ces fiches doivent rendre possible le dialogue entre les membres d’une équipe éducative et favoriser la discussion sur les finalités, les objectifs et les moyens de considérer que l’action déployée a été efficiente. De manière générale, on considère que l’efficacité renvoie à l’atteinte des objectifs fixés, tandis que l’efficience caractérise le rapport entre les forces déployées et le résultat obtenu. Plus on dépense d’énergie pour un résultat donné, moins l’efficience est avérée.
Dans de nombreuses équipes aujourd’hui, l’élaboration de documents de ce type permet une validation collective et l’accord explicite d’une équipe de direction. Cela veut dire que les membres de cette dernière sont réellement impliqués dans un travail de réflexion et n’abandonnent pas les professionnels en situation de « jachère » c’est-à-dire laissés à leur propre sort sans accompagnement. Etre éducateur aujourd’hui, c’est affronter des situations complexes et difficiles pour lesquelles il est nécessaire d’avoir, au delà de la seule analyse de pratique qui peut se produire tous les mois, un interlocuteurs régulier qui renvoie différents éléments méthodologiques et de signification afin d’évoluer dans un univers incertain.
A ce titre, l’équipe de direction a complètement son rôle à jouer en rappelant les missions et en aidant à la formalisation des objectifs concrets. Ces derniers éléments ne peuvent être l’unique affaire de l’équipe qui dirige l’institution , mais ils doivent, au contraire, être partagés, discutés et incarnés dans ce moment précis d’une rencontre intellectuelle entre les membres d’un même collectif. Cet effort, cette confrontation des idées, suivie de l’aboutissement d’une décision d’action, sont probablement les éléments essentiels de la constitution d’une équipe. Elaborer une cohérence entre des professionnels qui s’instituent comme des partenaires réguliers, ce doit être l’objectif principal des dirigeants, leur obsession méthodologique et leur préoccupation quotidienne à travers une démarche créative et dynamique. Il est plus qu’urgent de considérer que les éducateurs ne sont pas des professionnels qui travaillent en free-lance, mais bien des acteurs subordonnés à un ensemble hiérarchisé dans lequel ils ont des comptes à rendre, mais aussi au sein duquel ils ont des ressources et des contributions à exploiter.

LE SUPPORT D’UN TRAVAIL D’EQUIPE : LA COOPERATION

Le directeur, les chefs de service, éventuellement les chefs de projet, doivent constituer des strates spécifiques, permettant d’identifier des différenciations et donc des complémentarités, des ressources dont la diversité permet de répondre à la complexité rencontrée à l’extérieur du système, ainsi que l’énoncent les différents auteurs s’intéressant à la systématique. Ainsi, travailler la fiche action d’un projet, c’est mobiliser l’ensemble des ressources intellectuelles d’une même équipe pour favoriser l’émergence, la consolidation et la formalisation d’un futur que l’on envisage collectivement au service d’un territoire et de ses populations. Cela doit donner lieu à un document qui sert de référence à chacune des parties prenantes de l’équipe et qui constitue une médiation efficace pour développer une mission de prévention spécialisée.
L’outil Proximus est alors le lieu où l’on va également collecter les différentes actions, ce qui permettra de garder la trace des documents opérationnels qui ont pu être élaborés avec des groupes et des individus. Sur le plan strict de l’évaluation, il constitue un rappel permanent des indicateurs que l’on a pu choisir à un moment donné de l’action pour mieux comprendre ce que l’on fait et en apprécier la valeur. On voit ici combien la dimension intégrative de l’outil constitue l’élément nodal d’une pratique professionnelle qui se structure dans une succession d’écritures par différents éducateurs. L’élaboration d’une fiche action est également le moment qui permet de ne pas laisser seul le porteur de projet, tout en lui assurant une solidarité sans faille quant à son élaboration du fait des contributions que cela peut générer. Vis-à-vis de l’extérieur, la fiche action constitue enfin un bon moyen de communication qu’il convient de soumettre aux partenaires en différentes occasions, qu’il s’agisse de réunions thématiques, de groupes de travail ou de bilans de projet.
Dès lors, s’il existe toujours des projets individuels, ils sont portés en équipe avec un responsable de projet qui sollicite les savoir-faire, les tours de main, les talents des différents collaborateurs pour mener à bien ce qui est envisagé. On sort ici de la concurrence qui peut parfois être rencontrée dans les équipes éducatives, au grand détriment des usagers de l’action sociale. Travailler en équipe, c’est partager les finalités, les objectifs et se donner, ensemble, les moyens de réaliser ce qui est envisagé pour une réussite collective. Il faut de la solidarité et de la loyauté. Au fond , la fiche action n’est pas simplement le travail technique d’une réalisation formelle mais, au contraire, le moment particulier où l’on va se rappeler en permanence que l’on est dépendant les uns des autres dans une démarche où l’on ne peut réussir qu’à plusieurs. Travailler sur la base de fiches action, c’est se rappeler avec constance que l’on est une équipe de professionnels et que l’on doit s’astreindre à des accords collectifs de coopération.

LA PREVENTION SPECIALISEE
Un projet coopératif

Sommaire

Philippe ROPERS
Pierre VERNEY
Préface de Paul DURNING
978-2-7117-2595-3
224 pages – 16 cm x 24 cm
Prix public : 23 euros

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